samedi 10 juillet 2010

A voix basse... the land of enchantment

... la lecture entraîne de sacrés dangers et de fabuleux enivrements...

*source Norman ROCKWELL The Land of Enchantment

... la lecture comme une aventure d'enfant par Juliette NOUREDDINE, "A voix basse":


J'ai un bien étrange pouvoir
Mais n'est-ce pas une malédiction ?
Cela a commencé un soir
J'avais à peine l'âge de raison
J'étais plongée dans un roman
De la Bibliothèque Rose
Quand j'ai vu qu'il y avait des gens
Avec moi dans la chambre close

Qui donc pouvaient être ces gosses,
Cette invasion de petites filles ?
Que me voulaient ces Carabosse
Qui leur tenaient lieu de famille ?
J'ai vite compris à leurs manières
A leurs habits d'un autre temps
Que ces visiteurs de mystère
Etaient sortis de mon roman

{Refrain:}
Ils jacassent
A voix basse
Dès que j'ouvre mon bouquin
Je délivre
De leurs livres
Des héros ou des vauriens
Qui surgissent
M'envahissent
Se vautrent sur mes coussins
Qui s'étalent
Et déballent
Linges sales et chagrins
Ils me choquent
M'interloquent
Et me prennent à témoin
De leurs vices
Leurs malices
De leurs drôles de destins
Mauvais rêve
Qui s'achève
Dès que je lis le mot "fin"
A voix basse
Ils s'effacent
Quand je ferme le bouquin
A voix basse
Ils s'effacent
Quand je ferme le bouquin

Depuis dès que mes yeux se posent
Entre les lignes, entre les pages
Mêmes effets et mêmes causes
Je fais surgir les personnages
Pour mon malheur, je lis beaucoup
Et c'est risqué, je le sais bien,
Mes hôtes peuvent aussi être fous
Ou dangereux, ou assassins

J'ai fui devant des créatures
Repoussé quelques décadents
Echappé de peu aux morsures
D'un vieux roumain extravagant
J'évite de lire tant qu'à faire
Les dépravés et les malades
Les histoires de serial-killers
Les œuvres du Marquis de Sade

{au Refrain}

N'importe quoi qui est imprimé
Me saute aux yeux littéralement
Et l'histoire devient insensée
Car je n'lis pas que des romans !
Ainsi, j'ai subi les caprices
D'un Apollon de prospectus
J'ai même rencontré les Trois Suisses
Et le caissier des Emprunts Russes

Un article du Code Pénal
Poilu comme une moisissure
S'est comporté comme un vandale
Se soulageant dans mes chaussures,
Ce démon qui vient de filer
Ça n'serait pas, -je me l'demande-
Un genre de verbe irrégulier
Sorti d'une grammaire allemande ?

Je pourrais bien cesser de lire
Pour qu'ils cessent de me hanter
Brûler mes livres pour finir
Dans un glorieux autodafé
Mais j'aime trop comme un opium
Ce rendez-vous de chaque nuit
Ces mots qui deviennent des hommes
Loin de ce monde qui m'ennuie.

Malgré les monstres et les bizarres
Je me suis fait quelques amis
Alors, j'ouvre une page au hasard
D'un livre usé que je relis
Et puis -j'attends je dois l'avouer-
Au coin d'un chapitre émouvant
Que vienne, d'un prince ou d'une fée,
Un amour comme dans les romans
Comme dans les romans

A voix basse
Qu'il me fasse
Oublier tous mes chagrins
Qu'il susurre
Doux murmures
Des "toujours" et des "demain"
Qu'il m'embrasse
Qu'il m'enlace
Et quand viendra le mot "fin"
Je promets
De n'jamais
Plus refermer le bouquin

mardi 6 juillet 2010

Les vertes lectures: La Comtesse de Ségur, Jules Verne, Lewis Carroll...


Je prends beaucoup de plaisir à lire des essais sur les livres. Est-ce pour palier à une culture lacunaire de la littérature ? Bien-sûr mais c’est aussi une manière de raisonner sur ce que les auteurs nous donnent à lire. « Les vertes lectures : La Comtesse de Ségur, Jules Verne, Lewis Carroll, Jack London, Karl May, Selma Lagerlöf, Rudyard Kipling, Benjamin Rabier, Hergé et Pierre Gripari » de Michel TOURNIER et illustré par Sibylle DELACROIX offre en cela une ouverture aux lectures en même temps qu’une belle mise en valeur.

L’auteur, de livre pour adultes et plus jeunes, nous livre ici les contextes d’écritures de ces auteurs fabuleux. Il nous rappelle que sous les termes de lectures « vertes », il y a ces livres mis au rayon jeunesse mais dont les récits, sous des histoires imagées, ont justement la « verdeur » de la vie : ironie, cruauté, drame, jalousie et politique...
La bibliographie de la Comtesse de SEGUR remise dans son contexte apporte cette touche de peinture de mœurs, de religiosité, de politique. « Le grand bonheur de Sophie, c’est sans doute de nous donner pour notre joie et pour notre perplexité un écheveau de malice et de candeur si bien enchevêtré qu’il ne nous est pas possible de le démêler. »
Jules VERNE nous amène la distinction entre écrivains historiens, intéressés par la noirceur humaine, et les écrivains géographes, euphoriques à toutes nouvelles expéditions. Mais Michel TOURNIER ouvre les aventures écrites par VERNE dans justement ce paysage habité. « […] l’œuvre de Jules Verne relève tout entière de la philosophie et sa forme romanesque elle-même peut se ramener à une quête de la rationalité par un sujet connaissant héroïque affrontant des terres et des mers inconnues pour les conquérir. » La physique et la géographie sont alors en dualité et offre une vision du bonheur dans un lieu clos, éloigné du vrai monde : le bonheur par élimination des intempéries.
Lewis CARROLL est dépeint dans ses failles et sa passion pour les très jeunes filles mais c’est sûrement pour cet enfer de « derrière le miroir » vers la sexualité et du devenir qui annihile le présent.
Jack LONDON offre sa vie sous romance, de multiple aventures et tumultes.
Karl MAY que je découvre et son western-choucroute.
Selma LAGERLÖF apparait avec tout le prodige d’unir le réalisme à la féérie, offrant une connaissance appuyée des éléments de la nature, faune et flore, et des activités nocturnes.
Rudyard KIPLING encore plus mystérieux, pour lequel l’Inde apparait en décor mais pas forcément en symbole. La faune et la flore participent de ces caricatures humaines et de cette civilisation victorienne. Le discours entre l’inné et l’acquis est là dans cet adolescent sauvage, pas si sauvage d’ailleurs et pas sexué. J’ai envie de relire « Le livre de la jungle » et « Kim » bien-sûr.
Benjamin RABIER est repositionné dans ses satyres humaines sous forme d’animalier… et un clin d’œil à la vache qui rit.
Tintin apparait comme un jeune homme sorti du scoutisme et sorti de toutes les contraintes personnelles : pas de métier, de famille, de statut social etc… seule intelligence parmi les adultes.
Ou Pierre GRIPARI dont la vie n’a de valeur que l’écriture de conte, qu’être transparent et sortir de l’imagination.
Un point important est aussi cette proposition d’un discours sur la propre œuvre de l’auteur, Michel TOURNIER. Sont repris cette réflexion superbe sur la solitude, l’inné et l’acquis, le sauvage mais aussi de ce qu’est un livre jeunesse réussi. L’auteur nous présente ses différentes trames, avec un « Vendredi » différent entre la version philosophique et celle jeunesse mais aussi le rôle important d’un livre, car repris en classe, car traduit ou même piraté. En cela le questionnaire de Proust en fait de livre est particulièrement intéressant, surtout quand on pense qu’il a essayé de remettre sur le devant de la scène « La pomme rouge » de Francis GARNUNG, oh combien une merveille!

Même si ces chapitres me poussent à vouloir lire, relire, que ce soient mes lectures présentes, CARROLL ou KIPLING mais aussi les plus jeunes comme du LONDON ou du LARGELÖF, ils vont encore plus loin et m’incitent à lire entre els lignes d’un Tintin (Tiens cela me rappelle des cours de sociologie de la représentation artistique !) ou d’un Bécassine, oui, oui. Les propos tenus par Michel TOURNIER poussent à l’esprit critique, poussent à une relecture des écrits dit jeunesse avec justement la lucidité plus aiguisée d’un adulte. Il nous offre des portes d’entrée mais aussi l’intuition de nombreuses autres caractéristiques d’un livre pour adulte réussi, avec un sens.

J’ai particulièrement été touchée par l’oralité et l’écrit dans la littérature.
Même si la lecture est un acte conquis, acte d’apprentissage, elle n’est pas démunie d’oralité. J’aime énormément ce point de vue. De cette lecture à voix haute des proches d’un enfant à celle de comédiens lisant des œuvres classiques pour tout un chacun ou pour les aveugles, en passant par la lecture à voix haute d’apprentissage avant d’être mentale plus tard, l’écrit peut être partage, don de voix.
TOURNIER reprend aussi les genres littéraires dont l’oralité lui semble (et est) une conséquence : le théâtre se doit d’être vécu ; la poésie d’être audible et proclamée ; les contes, résultantes de partages et d’oralité populaire ou ceux créés pour être amplifiés devant public. Le livre offert par l’auteur comme une moitié dont le lecteur par sa voix mentale ou orale présentera le reste, la tonalité, l’emphase etc…

La philosophie aussi transparait là et présente les œuvres avec une nouveauté et une originalité salvatrice : Gilles DELEUZE, KANT, SPINOZA.

Une lecture recommandable bien-sûr !

jeudi 1 juillet 2010

J'ai choisi d'être médecin chez les Touaregs

« J’ai choisi d’être médecin chez les Touaregs » propos de Sœur Anne-Marie recueillis par Jacques DUQUESNE et Annabelle CAYROL offre une belle prise de conscience.

En suivant les journalistes durant leur séjour auprès d’Anne-Marie SALOMON, ce sont des propos francs, sans langue de bois, qui nous sont offerts et le récit de vie d’une religieuse pas comme les autres. « J’avais envie d’être médecin de campagne, mais je ne comprenais pas ce qui était en moi ; l’idée que j’avais du médecin de campagne ne correspondait pas à ce que je voyais en France. Et quand je suis arrivée en Afrique, j’ai compris que ce désir se réalisait. Cette espèce de rôle de médecin de campagne qui est déjà de cœur avec la population, qui va aider l’un et l’autre à entreprendre quelque chose… qui s’occupe de la scolarité des gamins, qui va peut-être avoir son jardin aussi, et ainsi de suite… »

Jeune femme, elle voulait être et religieuse et médecin mais entrera juste au couvent et deviendra pour la première partie de sa vie professeur de physique/chimie. Sa foi, sa volonté d’être là pour les autres, pour les plus pauvres, la pousse à aller en Afrique, au Mali, et pour plus d’efficacité d’aide l’entraine vers une formation de médecin à plus de quarante ans. C’est cette même motivation d’être au plus près de la pauvreté qui la dirige vers les Touaregs. De sa vie après, peu de choses si ce n’est son temps exclusivement destiné à la médecine, aux centres de soins, aux patients, cette disponibilité constante aux autres mais pas aux remontreurs de bonne conscience venus regarder son travail. De sa situation pendant la période de rébellion au Mali, peu de choses, si ce n’est une prise de conscience des dangers comme si sa vie n’était pas importante et comme si la foi l’aidait en tout.

Sœur Anne-Marie présente aussi et surtout ses projets et la politique médicale du Mali. D’une pratique privilégiée malienne très ethnique voire familiale au début, elle met en place des centres de soins pour tous, nomades ou non où le jour de consultation se fait plus en fonction des problèmes médicaux : gynécologie, sida, tuberculose mais aussi paludisme ou bilharziose. Ses engagements et ses actions aident en partie à l’émancipation des femmes (consultation où elles viennent seules mais aussi prévention, contraception et investissement dans les discours ethnico-médicaux de mariages). L’investissement éducatif est là aussi : à chaque centre de soin une école et vis-versa.
Le plus important reste la conception de l’Afrique de Sœur Anne-Marie, contre une attitude colonialiste, contre la poursuite des relations historiques entre l’Europe et le continent noir d’un dirigeant arrivé avec l’argent confronté à des mains-d’œuvre obéissantes ou résistantes. Elle n’apporte son soutien financier et de moyens que si la population locale a travaillé sur le projet, l’a étudié, se forme pour l’encadrer et le soutenir à long terme. La prise en charge de la population est totale, autant dans les projets de construction des centres de soin ou des écoles (où les dons de livres sont sur des livres francophones mais maliens), que dans le paiement des consultations médicales.
Les à priori sont vilipendés, autant cette politique méprisante de la culture Touareg qu’est le slogan « nourriture contre travail » que la caricature des Africains paresseux où la paresse n’est qu’une vue de l’esprit et une inconscience du contexte climatique du travail. Sœur Anne-Marie n’est pas tendre avec les locaux non plus, sur leur différence de conception de l’hygiène, sur leur absence de prise en charge, sur la corruption ou leur désinvolture culturelle concernant les papiers (de mariage ou de divorce par exemple) ou la position de la femme (cf l’extrait sur les poupées tamasheks).

Le grand point fort de ce livre est aussi pour moi la position de cette sœur sur les occidentaux.
Ce mépris des touristes cochant un lieu et cherchant un guide pour aller tâter de l’éléphant. Leur invasion même si porteurs de bons sentiments et de bonne volonté. Leur ignorance du terrain, ne se souciant pas de l’après eux. « Il existe souvent, chez des gens par ailleurs généreux, une sorte d’inconscience. Ils ne comprennent pas l’Afrique, ils ne savent pas que nous avons besoin d’argent plus que de personnes pour travailler. Les agents, nous en avons. L’argent, il fait toujours défaut. »
Même les associations et les ONG en prennent pour leurs grades. Les interrelations des associations sont acclamées et leur processus pratique d’aide décrit. Mais les stratégies « de dons », la méconnaissance du terrain et des projets à court terme sans suivi des locaux de certaines ONG sont épinglés.

Et puis deux points annexes mais pas tant que cela : la religion et la culture malienne.
La culture malienne dans sa religiosité (pas au sens péjoratif), les gigots d’accouchement mais aussi leurs liens forts à la famille, aux personnages importants comme le marabout (décideur et marieur) ou la forgeronne (la griotte, la conteuse de récits et de nouvelles), la polygamie et la sexualité mais aussi des indications sur les avancées : ce téléphone par exemple qui permet d’être moins pauvre car la population peut quémander des sous à sa famille éloignée.

Les propos sont aussi religieux. Sœur Anne-Marie est une Sœur de la Retraite à la spiritualité ignacienne, proche des jésuites. Et tout le parcours de cette femme semble très emprunt de religiosité (mais pas au sens kitch) : une éducation à la religion avec un contexte de « Propagation de la foi » pour les chinois mais aussi, une fois rentrée au couvent, une démarche poussée vers les autres, un tournant professionnel allant de soi, comme prédestiné, un soutien dans les dangers politiques.
Bien-sûr à la vue de son métier de médecin, Sœur Anne-Marie se positionne sur la contraception : elle est pour la pilule au cas par cas et foncièrement contre l’avortement qu’elle ne pratique pas.
Mais sous ces aspects très religieux apparaissent aussi des « fantaisies » moins rencontrées : de la thérapie par la couleur qui explique la couleur de son boubou, le bleu met en relation avec l’autre, le violet met en relation avec dieu, des dons de guérisseuse pour les brûlures, de sourcière.
Une chose aussi, bien importante dans cette lecture, fut de découvrir la liberté à être religieuse. Anne-Marie SALOMON se décrit électron libre et je soupçonnais une incompatibilité avec l’entrée au couvent. Seulement, les Sœur de la Retraite ont une philosophie très différente. Bien-sûr on retrouve la chasteté, la pauvreté et l’obéissance mais justement cette dernière est comme une gestion de la liberté et non une dépendance à une supérieure. L’ouverture vers le monde et la foi en l’homme sont prégnants.

Une autre lecture sur le Mali et ses Touaregs venant accompagnée celle sur les écoles et la culture : « Enfants des sables, Une école chez les Touaregs » de Moussa AG ASSARID et Ibrahim AG ASSARID

Merci à Babelio et aux éditions Plon.