lundi 8 août 2011

Là où vont nos pères

© Shaun TAN /Dargaud

J'ai enfin pu me délecter de la lecture de "Là où vont nos pères" de Shaun TAN. Florizel m'avait harponnée là.
L'homme se prépare. Il choisit de partir, de laisser pour un temps sa famille et sa maison afin de trouver mieux ailleurs. Ailleurs, l'étrange, le merveilleux de la terre rêvée, un pays aux multiples codes ethniques, un monde protecteur, plus riche en travail et nourricier comme pourraient le symboliser les immenses statues égéries (oiseau conservant son œuf, animal aux provisions ou hommes en pleine fraternité).
Il fuit un pays déserté où les gens se calfeutrent à l'intérieur de chez eux par peur de ce monstre tentaculaire, ombre serpent qui s'insinue partout. Et commence l'exil, le voyage d'un individu pris dans la masse des populations en partance. A l'arrivée, il y a les démarches administratives, les formulaires, l'identification et le nouveau départ. Se refaire une identité, une vie dans un autre pays, avec d'autres codes, un autre langage, d'autres us et coutumes. Et rencontrer d'autres immigrés.

© Shaun TAN /Dargaud

Cette bande-dessinée, véritable roman graphique sans parole, est une histoire de l'exil.
Une histoire réglementée par les contrôles de l'immigration: la visite médicale, les nouveaux papiers voire même l'étiquetage des arrivants (qui pourrait rappeler d'autres formes de signes distinctifs moins amicaux). Une histoire de fuite aussi, de tragédies et d'utilisation du malheur des autres avec les passeurs bien cupides.
A travers le héros et ceux qu'ils rencontrent ce sont les destins de ceux qui partent. Ce qu'ils fuient et ce qu'ils recréent ici, sur la terre d'accueil. Tous ces individus sont mêlés à la multitude, juste un élément de cette grande transhumance.

© Shaun TAN /Dargaud

L'auteur choisit une version, non édulcorée, mais positive: que l'immigration soit organisée, volontaire, collective pour le travail ou que ce soit une immigration individuelle de refuge contre une société inégalitaire, une guerre, les immigrés sont accueillis.
L'exil n'est pas une évidence. La fuite, la valise comme seul monde, seul lien avec la famille. Et cette adaptation à la langue, aux écritures, aux coutumes, aux méthodes, aux machines, aux transports, aux mesures du temps, aux aliments étrangers.
L'apprentissage est aussi difficile pour le premier arrivant que pour les suivants, enfants compris. Et puis l'immersion amène l'intégration, une assimilation respectant les ethnies d'origine.

Cette terre d'accueil en elle-même est aussi le rêve de l'ailleurs. Un pays moderne, industriel, où les petits métiers sont aussi mis en avant. Les cultures, les ethnies cohabitent.
Le monde inventé par Shaun TAN est immense, vertical, très architecturé. Mais en plus des machines, des cheminées d'usine, il y a aussi toute une infrastructure (des transports en commun, une poste) et une profusion alimentaire.
En plus, l'homme ne semble pas être de trop, les logements sont là, exigus au départ mais offrant aussi des villages. Des statues gigantesques posent leur regard sur les habitants, non sans rappeler les divinités grecques, égyptiennes, cambodgiennes ou des mégapoles inventées pour les super-héros.
Le monde de l'auteur est aussi très humanisé. La promiscuité humaine ne restreint pas les services rendus. Les ethnies cohabitent et offrent une solidarité et une convivialité apaisante et fondatrice. Chaque habitant semble aussi être accompagné, et non victime d'isolement: un animal fantastique est "offert" et reste en permanence avec les individus.

Cette bande dessinée n'est pas forcément destinée aux enfants, elle faite de subtilité et de références. Les illustrations ont un rendu très peaufiné, elles sont minutieuses et très travaillées. L'usage du temps est là,

© Shaun TAN /Dargaud

dans cette double page de nuages, de ciels, d'étendue brumeuses comme des pensées mais aussi dans la patine des objets usuels, du quotidien ou le végétal marquant les saisons.
Les illustration oscillent entre des panoramas et des focus comme dans un film et un reportage photographique, où les récits des autres personnages sont présentés comme des photos jaunies. C'est aussi un livre témoignage où de nombreuses situations peuvent être réelles. Quelques images m'ont marquée particulièrement: ces oiseaux rencontrés en mer après un dur voyage comme la marque de la terre enfin proche ou ces origami comme trace éphémère du père, absence de la famille, présence et offrande.

© Shaun TAN /Dargaud

La découpe des "bulles" est aussi très particulière: double page sur les mondes en vue d'ensemble, oppressants ou accueillant, puis sur la temporalité (les nuages, le temps par le passage du temps sur la plante); enfin l'individu fondu dans la multitude.

Vous trouverez là un interview de l'auteur à propos de ce livre et ici un avis argumenté

3 commentaires:

  1. J'adore cet auteur ! Merci de cette très belle mise en avant !

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  2. un très beau livre
    que je n'ai pas encore dans ma bibliothèque physiquement bien que je le feuillette souvent ailleurs
    un livre pour les petits Brice, Nicolas et Cie mais je ne suis pas certaine qu'ils puissent comprendre

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  3. La Luciole Masquée: bienvenue entre mes billets. Depuis le temps que je voulais le découvrir, j'ai hâte aussi de lire ses contes de la banlieue lointaine. A suivre donc ;)

    cc: superbe livre en effet que je n'ai pas présenté au lutin, il implique tellement de références sous-entendues que je ne sais pas comment le présenter en premier...

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