jeudi 15 septembre 2011

Jours sans faim


"Elle se vantait à voix haute d'avoir tout encaissé, tout digéré, elle avait chaussé ses bottes de mille lieues pour se barrer loin de tout ça, pour affronter le monde. Jusqu'au jour où cette enfance blessée lui est remontée d'un seul coup. Acide. Elle avait beau mâcher, ruminer, déglutir, ça ne passait plus. Elle croyait qu'elle était quitte, qu'elle avait eu sa dose. Elle croyait qu'elle pouvait s'en tirer comme ça, presque indemne, à peine un peu plus sensible, mais elle n'en finissait plus de faire rouler dans sa bouche ces petits morceaux d'enfance comme des cailloux terreux qu'elle refusait de cracher. Elle ne voulait pas grandir, comment peut-on grandir avec ces blessures à l'intérieur de soi? Elle voulait combler par le vide ce manque qu'ils avaient creusé en elle, leur faire payer ce dégoût qu'elle avait d'elle-même, cette culpabilité qui la reliait encore à eux."
Lou DELVIG, "Jours sans faim"

vendredi 9 septembre 2011

La maison où tu n'arrives jamais

La participation de Joanna CONCEJO à un livre est souvent (toujours?) gage de sensibilité.
Celle qui m'a donné envie de continuer mes pérégrinations dans son univers, Cristiana, a offert de très beaux billets sur cette illustratrice : n'hésitez pas à lire le magnifique interview sur son blog La boite à thé (blog à recommander).

© Paloma SANCHEZ IBARZABAL et Joanna CONCEJO/ OQO éditions

"La maison où tu n'arrives jamais" de Paloma SANCHEZ IBARZABAL et illustré par Joanna CONCEJO est un petit bijou.
L'enfant est perdu dans la nuit et ne retrouve pas sa maison. Il déambule dans un univers onirique, pieds nus chaussette (oui, oui). Il cherche sa maison dans une forêt, les arbres feuilles deviennent des feuilles mortes dans le vent. Poussé par des voix encourageantes, toujours différentes, l'enfant avance dans son rêve, cherche son chez lui.

© Paloma SANCHEZ IBARZABAL et Joanna CONCEJO/ OQO éditions

La perte de repères est ici flagrante. Il erre dans des univers en état d’apesanteur, où les éléments s'entrechoquent. Le milieu aérien et marin côtoient le sol. Le monde animal change de proportions. Le mobilier, les tasses de thé, un dragon, des poissons pochoirs comme des éléments de paysage.

La peur du noir est transmise par cette perte temporaire de la vue, les yeux masqués par des ailes de papillons de nuit, la tête devenue source de sensations félines. Les végétaux se font forêt, prison. Le bruit des klaxons de voiture, des mouettes, du vent ponctuent la nuit. Le bruissement des papillons deviennent preuve de présence fantomatiques.
L'angoisse est aussi dans la perception du monde et du temps: la fin du monde, le début, une journée, le néant, la solitude.
Mais ce n'est pas un cauchemar, les sensations de chute, de fuite, sont amoindries par la présence d'éléments magiques, comme un dragon, une grande ourse constellation aux allures de peluche aux yeux brillants, repère dans la nuit. La lune amortit comme un gros ballon, une étoile se fait aide. Et surtout, il y a ces voix qui poussent l'enfant à continuer le rêve, la recherche, à ne pas se laisser aller au malaise.

© Paloma SANCHEZ IBARZABAL et Joanna CONCEJO/ OQO éditions

Et puis aussi, restent des traces d'un chez-lui dans toutes les pages. Un chat est le point d'accroche de l'enfant, son pelage est monde en soi, sa présence est observatrice mais aussi réconfortante.

Nous émergeons de ce voyage dans le mystérieux des rêves avec apaisement. Le texte poétique et encourageant accompagne les images déstabilisantes. Les illustrations montrent, elles, l'imbrication du réel et de l'onirique. Un très beau livre pour se détendre avant de sombrer dans les bras de Morphée.