mardi 30 décembre 2014

La couveuse - Contes des femmes qui veillent


"Si vous voulez mon avis de vieille en fin de course, avec dans mon sac tout ce que m'a montré la vie, il faut apprendre à ne pas calculer. C'est la poule qui couve qui me l'a appris.
La poule qui couve, elle est là, butée sur sa chaleur, à veiller dehors, à s'écouter dedans sans bouger d'une plume, large, gonflée, tout étalée. Au début, le temps de faire démarrer la chaudière, elle ne mange ni ne boit. Elle ne dort que d'un œil, féroce, et gronde si on s'approche. Elle écoute.
Quand vous couvez votre œuf, votre petit, mes belles, vous vous écoutez, vous l'écoutez et tout va bien. Si vous vous mettez à calculer ce que vous voulez qu'il devienne, il ne vous entend plus et il a peur."
(extrait de "Contes des femmes qui veillent" de Marie FAUCHER, Seuil; illustration de Phoebe WAHL)

lundi 29 décembre 2014

Le sang de Méduse - Le bestiaire de l'Olympe


"Un peu plus loin encore, Persée aperçut une jeune femme enchaînée à une falaise surplombant la mer. Elle se nommait Andromède et allait être sacrifiée à un monstre marin afin d'apaiser la colère de Poséidon. Persée n'hésita pas une seconde et, grâce à l'épée d'Athéna, tua le monstre. Cela fait, il déposa la tête de Méduse sur des algues tandis qu'il lavait dans l'eau le sang souillant ses mains. Celui-ci colora les algues cependant que le regard du monstre les pétrifiait. Persée, sans le savoir, venait de donner naissance aux premiers coraux." 

(extrait du "Bestiaire de l'Olympe" d'Anne JONAS et illustré par Nancy PENA, Milan Jeunesse, dont je parle là)

Le bestiaire de l'Olympe

© Anne JONAS et Nancy PENA/ Milan jeunesse

Nous tournicotons autour des mythes grecs, encore. Avec ce livre-ci, l'angle se fait grâce aux bêtes. "Le bestiaire de l'Olympe" d'Anne JONAS et illustré par Nancy PENA ne fait pas la part belle qu'aux créatures fantastiques. L'auteur nous présente aussi une faune connue mais derrière le cerf, le coucou, la belette, la chèvre, ce sont des merveilles que nous découvrons. "Les dieux de l'Olympe aiment utiliser leurs pouvoirs pour rappeler aux hommes leur suprématie. Pour les punir ou les sauver. Ils n'hésitent pas à les transformer en animaux, en plantes, en planètes ou en monstres."

© Anne JONAS et Nancy PENA/ Milan jeunesse

Sur une trentaine de chapitres, nous découvrons des détails de l'histoire mythologique souvent laissés en suspend dans les vulgarisations sur le sujet.
Il y a bien-sûr les multiples transformations de Zeus, ce dieu tout puissant et volage, pour séduire les déesses, les nymphes ou les femmes, tour à tour taureau ou caille par exemple.
Ce sont aussi les victimes de l'orgueil des dieux, une araignée trop experte en tissage pour Athéna, un âne qui ne sait pas écouter la belle musique pour Apollon, une belette ou un coq qui non pas satisfait la demande.
Il y a les autres, la chèvre nourricière, l'aigle dévoreur de Prométhée ou la perdrix (neveu de Dédale).
Et bien-sûr les plus connues, les créatures incroyables, nées souvent des amoures particulières ou de la jalousie des dieux: le premier centaure, le Minotaure, Protée, le Lion de Némée, Thyphon...

© Anne JONAS et Nancy PENA/ Milan jeunesse

En plus de découvrir des pans de la mythologie grecque, souvent mis à l'écart par rapport aux duels mythiques et mises à mort, ce sont aussi des anecdotes sur la faune autour de nous qui apparait, comme des contes des origines: pourquoi la belette semble enfanter par la bouche (quand elle ne porte que ses petits à la manière d'un félin), pourquoi le coq se lève tôt, pourquoi la perdrix ne vole pas haut etc...

© Anne JONAS et Nancy PENA/ Milan jeunesse

Les illustrations de Nancy PENA offre un beau compromis avec de belles planches colorées et des arabesques entourant le texte. Les choix des couleurs rappellent l'aube ou le crépuscule, le moment où les dieux s'immiscent sur Terre peut-être le plus souvent. Les animaux et les éléments végétaux sont superbes, les humains drapés n'apparaissant que comme des détails. Les fonds sont aussi très importants et décoratifs.
Magnifique livre!


jeudi 25 décembre 2014

Joyeux Noël


"Tout devient compliqué quand on veut posséder les choses, les rapporter à la maison et les garder. Moi, je me contente de les regarder simplement. Ensuite, je les ai dans ma tête et je peux m'occuper de choses bien plus amusantes que de porter des valises."

(extrait de "Moomin, la comète arrive" de Tove JANSSON, Petit lézard; source illustration de Lieke VAN DER VOST)

Vivre ensemble, La liberté, ( -, c'est quoi?)

J'en avais parlé au moment des élections présidentielles. Ces deux ouvrages de la collection Philozenfants de Nathan, écrits par Oscar BRENIFIER, ciblant les plus de 7 ans, ne sont que deux exemples que je compléterais au fur et à mesure tant ces propositions sont excessivement bien faites et interactives.

  © Oscar BRENIFIER, Frédéric BENAGLIA et Frédéric REBENA/ Nathan
"Vivre ensemble, c'est quoi?" d'Oscar BRENIFIER et illustré par Frédéric BENAGLIA permet d'aborder la solitude, l'entente, l'égalité, le respect, le travail et l'autorité. A ces 6 thèmes sont associés 6 questions. 
 © Oscar BRENIFIER et Frédéric BENAGLIA/ Nathan
Mais le point fort de ces propositions philosophiques pour enfants est là: à chaque question le débat est ouvert car les réponses multiples sont oui et non! Plusieurs oui, plusieurs non, et à chaque fois quelques arguments "caricaturés" par les illustrations dans une situation explicite. 
© Oscar BRENIFIER et Frédéric BENAGLIA/ Nathan
"Doit-tu toujours être d'accord avec les autres?
- non (...)
- non (...)
- non (...)
- oui (...)
- non, car j'ai le droit d'avoir mon opinion.
oui mais: (...)? (...)? Existe-t-il des opinions supérieures aux autres? (...)?"
En fin de thème, un récapitulatif et ce que permet cette question comme réflexion plus large.

***

" La liberté, c'est quoi?" d'Oscar BRENIFIER et illustré par Frédéric REBENA propose d'aborder les thèmes sont la volonté, autrui, grandir, prisonnier, droit et utilité . Les questions sont: Peux-tu faire tout ce que tu veux ? Les autres t'empêchent-ils d'être libre ?
 © Oscar BRENIFIER et Frédéric REBENA/ Nathan
As-tu besoin de grandir pour devenir libre ? Un prisonnier peut-il être libre ? A-t-on tous le droit d'être libre ? À quoi peut te servir ta liberté ? 
  © Oscar BRENIFIER et Frédéric REBENA/ Nathan

mardi 23 décembre 2014

"Et combien de temps encore des pieds si abîmés, si épuisés pouvaient-ils tout bonnement marcher sur cette terre?" - Esprit d'hiver


"Holly baissa les yeux sur ses pieds [...] et c'est alors qu'elle remarqua, tout autour de ses pieds, quelque chose de sombre, ou du sable, répandu sur le sol.
Poussière? Cendre? Qu'était-ce donc?
Holly souleva un pied et en reposa la plante pour voir si elle était mouillée, si elle se tenait au milieu d'une flaque de quelque chose. Ce n’était pas le cas. [...] Elle prit une éponge dans l'évier, s'agenouilla et essuya le sol:
Rien.
Elle ne ramassa rien avec l'éponge, et quelle que pût être cette tâche foncée, elle n'était pas ni collante ni crasseuse. Elle fit courir sa main autour de la tâche et découvrit que rien ne semblait s'être répandu à cet endroit, du moins récemment. Ce cercle était simplement d'un noir plus foncé que le reste du carrelage.
Merde.
Les carreaux de céramique [...] avaient-ils commencé à se décolorer? [...]
Elle frotta plus fort avec l'éponge mais rien n'y fit.
Ou bien si?
Était-ce son imagination ou le cercle sombre s'élargissait-il, s'épanouissait-il, alors qu'elle passait l'éponge sur sa surface?
"Mais qu'est-ce que tu fiches?"
[...]
"Seigneur, s'exclama Holly. Tu m'as surprise. Je te croyais dans ta chambre.
- Maman, qu'est-ce que tu fais? redemanda Tatiana, avec la même expression de surprise agacée.
- Eh bien, on dirait qu'il y a quelque chose sur le carrelage, répondit Holly. Mais je n'arrive pas à l'éponger. Tu vois comme c'est sombre, tout ce cercle? On dirait une tâche ou une décoloration ou peut-être...
- C'est toi."
Holly leva les yeux vers sa fille.
" C'est toi, maman."
Holly ne voulut pas demander à Tatiana ce qu'elle entendait par là. Elle ne lui faisait pas confiance. Il semblait qu'elle était capable de critiquer sa mère, quoique Holly fasse ou dise. [...] Puis elle trouva le courage de demander à Tatty: "C'est moi, que veux-tu dire par là?
- Maman, tu ne vois pas ce que tu es en train de faire?"
Holly secoua la tête. Son regard passa de Tatiana à l’éponge qu'elle tenait dans sa main, puis de l'éponge au rond sombre par terre autour d'elle.
" Maman, tu essaies d'effacer ton ombre.
- Quoi? " fit Holly.
Pourquoi ces larmes soudaines dans ses yeux?
Pourquoi, une fois encore, éprouvait-elle ce sentiment d'abandon total, d'avoir été rejetée, abandonnée par tous? "

(extrait de "Esprit d'hiver" de Laura KASISCHKE, photographie d'Alfred STIEGLITZ)

mardi 16 décembre 2014

Marya, une vie

"A ces moments-là Marya jouissait de son anonymat; elle se sentait invisible. Elle murmurait des réponses, donnait des conseils, le consolait, l'approuvait, sympathisait avec lui. Alors il ne la voyait pas - il ne la jugeait pas. Elle n'avait pas besoin d'être brillante, vive, impitoyable, de jouer un rôle comme au cinéma, elle pouvait se détendre dans ses bras, se laisser embrasser, caresser, l'écouter poursuivre des discussions éternelles avec les autres - son père, ses amis - par son intermédiaire."

"Les murs étaient ornés de dessins au fusain qu'elle avait faits, des croquis de personnages imaginaires et quelques autoportraits; quand elle était trop tendue ou excitée pour dormir après des heures d'étude ou après un examen, elle prenait un crayon et dessinait ce qui lui passait par la tête - les doigts animés d'une énergie étrange, sporadique. Les murs lui renvoyaient le reflet austère de son propre visage. Les pommettes marquées, les yeux noirs, les sourcils touffus... Elle s’enlaidissait volontairement; c'était une consolation, une forme de vanité inversée. Qui est-ce? demanda une fois l'une des filles de l'étage. Un homme? Une femme?"

(extraits de "Marya, une vie" de Joyce Carol OATES)

lundi 15 décembre 2014

Le parc de Marguerite


 © Sara STEFANINI/ Notari

L'album de Sara STEFANINI est un appel au vert. Marguerite est une enfant vive. Elle déambule dans le parc voisin et s'arrête par moment pour observer les gens qui passent. Les promeneurs et leur chien. C'est drôle, ils se ressemblent. Et elle revient chez elle. Elle rêve d'un parc intime, pour elle et pour sa mère. Elle va le créer.


 © Sara STEFANINI/ Notari

Entre les lignes, il y a ce rapport à l'extérieur de la maison, aux autres, à la vie et à la société. Les hommes et leurs chiens, ce lien tenu mais aussi cette forme d'amitié.

© Sara STEFANINI/ Notari

Marguerite semble isolée avec sa mère, bloquée à la maison. La verdure apparaissant dans le foyer, c'est aussi une invitation aux contacts extérieurs, aux nouvelles rencontres après ce temps sans rien.
L'album parle effectivement d'un manque que peut combler le rapport aux autres. Une intimité, une confiance qui veut aussi s'ouvrir aux autres.

© Sara STEFANINI/ Notari

Les illustrations de Sara STEFANINI sont belles, fraiches et pleine d'humour avec ces caricatures de chiens et d'hommes.

lundi 1 décembre 2014

Quatre soeurs, Enid, Hortense

Ce gros roman jeunesse (4 tomes) me tentait énormément. Un peu une envie de renouveler un moment de lecture plaisir, comme avec "Miss Charity" de Marie-Aude MURAIL. Et la sortie des bandes-dessinées découlant de l’œuvre me tentaient elles aussi. Alors ni une, ni deux, j'ai savouré les deux premiers tomes des "Quatre soeurs", "Enid" et "Hortense, de Malika FERDJOUKH et illustré par Cati BAUR.


© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Delcourt (pour le premier tome) ou Rue de Sèvres (tous les tomes)

Et le plaisir est immédiat! Elles ne sont pas quatre mais cinq, cinq filles habitant une immense demeure, la Vill'Hervé. Elles y vivent seules depuis la mort de leurs parents. Chaque tome met en avant l'une d'elles plus spécifiquement.

© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Delcourt  (pour le premier tome) ou Rue de Sèvres (tous les tomes)

Cati BAUR a adapté en bande-dessinée ce roman plein de facétie, d'humour et de tendresse. Cette immersion dans un quotidien féminin ravit les filles mais la liberté donnée à des adolescents parlera surement à tous. C'est intelligent, doux et câlinant!

© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Delcourt  (pour le premier tome) ou Rue de Sèvres (tous les tomes)

Enid est la petite dernière, 9 ans, encore une enfant. Elle a besoin d'être chouchoutée par les sœurs mais aussi les parents en fantômes prévenants. Avec elle, nous découvrons une part du quotidien de toute la maisonnée. Les moments de partage, aux repas, à la farniente ou à dans la salle de bain. Chacune des soeurs cherchent sa place, nécessaire à la bonne marche de la famille ou plus diffuse, Charlie chargée du bricolage et de la charge financière, Geneviève aux fourneaux par exemple.
Avec ce premier tome nous découvrons la batisse qui crie aussi comme un personnage, le jardin et son puits, les habitants et les invités occasionnels ou non, choisis (Basile l'amoureux de Charlie, Colombe une amie de la famille) ou subits (tante Lucrèce déchainant une vague de rangement), les animaux, des chats mais aussi un écureuil ou une chauve-souris.

© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Delcourt (pour le premier tome) ou Rue de Sèvres (tous les tomes)

La part belle est faite aussi à l'automne, le vent et le froid. Cette part d'ombre et de fantastique comme Halloween.

© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Rue de Sèvres

Hortense est souvent silencieuse. A 11 ans, elle est toujours fourrée avec un livre à la main. Son journal intime se dévoile peu à peu. Les habitants de la Vill'Hervé prennent aussi plus de substance. Hortense se prend d'amitié pour la voisine, malade et affaiblie et découvre son potentiel de comédienne. Bettina continue à nous montrer son caractère fort, extravertie, jalouse et capricieuse.

© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Rue de Sèvres

La fragilité des sentiments et de l'amour sont à l'honneur dans ce second tome.
Le dessin se fait plus stylisé au second tome. Le contour est plus clair et ce côté moins fouillis permet une lecture plus fluide.

© Malika FERDJOUKH et Cati BAUR/ Rue de Sèvres

Superbe, j’attends avec impatience le 3ième tome et la lecture du roman d'origine!

Voici un autre avis argumenté ici.

jeudi 27 novembre 2014

Prendre soin de nos maisons d'édition jeunesse 2/2: Notari

Je vis sur Paris mais je n'irais pas au Salon du livre jeunesse de Montreuil cette année, ce week-end. Des occupations et un dos vacillant ne me le permettent pas. J'aurais pourtant bien apprécié faire le tour des stands prenant sur moi d'y voir que les magnifiques opportunités de partage et non la promiscuité non voulue des files d'attente. J'aurais aimé suivre mes auteurs favoris et mes maisons d'édition de prédilection.
Alors n'hésitez pas, vous, à en profiter. Déambulez entre les grandes maisons d'édition, parce que l'offre est importante, bien-sûr mais faites un petit passage à une autre petite que j'aime particulièrement: les éditions Notari (stand C7 au 1er étage). Pour qu'elle puisse continuer à nous offrir des livres de qualité!
Voici un panel des livres chez nous (il en manque). Je n'ai pas parlé de tous les livres. Oui je sais, je vais y remédier, peu à peu.


Prendre soin de nos maisons d'édition jeunesse 1/2: Autrement jeunesse

Je viens d'apprendre que la maison d'édition Autrement jeunesse met la clef sous la porte. Quelle tristesse. D'une part parce que les fermetures marquent un rétrécissement de l'offre et donc des sensibilités proposées dans la littérature jeunesse. D'autre part, parce qu'Autrement jeunesse avait un catalogue bien intéressant même si éclectique.


Alors, comme Gaëlle grace à qui j'ai appris la nouvelle, je vous montre un peu de ce que j'ai de chez eux. Courrez acheter ce qu'elle propose parce que nous ne sommes pas sûr que les titres seront repris par d'autres maisons d'édition! Vous retrouverez mes billets en suivant le lien Autrement jeunesse!
... d'autres se cachent encore dans ma bibliothèque... et bien-sûr j'ai commandé les albums philosophiques d'Oscar BRENIFIER, les "selon Ninon". Je vous parlais de "L'amour selon Ninon" ici.

mardi 25 novembre 2014

L'amour selon Ninon

Pourquoi avoir attendu autant de temps pour découvrir cette collection. Pourtant j'aime beaucoup ce que propose Oscar BRENIFIER. Je pensais à tort avoir affaire là à une bande dessinée facile. Bon, j'avais aimé sa collection Philozidées, par exemple "La question de dieu", une version simplifiée d'un thème. Mais mon coup de cœur allait vraiment à ses débats guidés de la collection Philozenfants: par exemple "Vivre ensemble c'est quoi" dont je parlais là.
Et Ninon dans tout ça! Et bien j'adore!

© Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse


"L'amour selon Ninon" d'Oscar BRENIFIER et illustré par Delphine PERRET est un album très complet. Ninon semble être amoureuse et grâce à ses proches, toutes ses questions auront des réponses.
Le livre peut se lire comme une histoire, du début à la fin, une sorte de pièce de théâtre en bande dessinée. Bien-sûr peu d'actions mais de nombreuses réflexions et petites humeurs d'enfant.
Il peut aussi se lire chapitre par chapitre. Chacun offrant une ligne de réflexion. Cela passe du sentiment amoureux, de l'affection plus poussée qu'une amitié ou une sympathie aux gens, mais aussi la jalousie, le respect, le bonheur d'autrui, le besoin d'être aimé, la passion, l'acte sexuel etc...
© Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse

L'album fait la part belle aussi aux références culturelles sur l'amour: mythologie avec Narcisse ou les androgynes, la bible et le jugement de Salomon, "Dom juan" ou "Roméo et Juliette".
Bien-sûr l'interaction n'est pas aussi naturelle que lors d'une séance de réflexion philosophique orale. Bien-sûr l'histoire amène les réponses peut-être même avant que l'enfant se pose les questions. Mais cette histoire est très bien faite car les interventions sont multiples. Ninon se pose des questions enfantines (mais pas que), les parents répondent sur les sentiments, la maîtresse sur la beauté de l'amour empirique, le voisin sur les références et le cochon, animal de compagnie, permet à Ninon de digérer avec des réflexions d'enfant ce qu'elle a découvert. Et puis la réflexion est un apport de petites touches, une à la fois: des phrases courtes, claires, des reprises pour expliciter.

© Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse


Je dois dire aussi que la clarté des illustrations de Delphine PERRET aide beaucoup. Les personnages détourés au feutre fin, les couleurs juste sur les vêtements et la séparation bien précise des vignettes (même sans pourtour) et des prises de parole allège.
Son cochon est aussi sympathique à souhait.

© Oscar BRENIFIER et Delphine PERRET/ Autrement jeunesse

L'album est ainsi très lisible et se lit, se relit et s'approprie facilement à partir de 8 ans. Parfait!




vendredi 14 novembre 2014

"C'est bête, un "singe", ça ne sait pas qu'une âme immortelle l'habite!" - Anima


"C'était l'heure du thé, mais le thé, vert ou noir, qu'il soit au gingembre ou à la menthe, m'indispose. Je préfère le Coca-Cola light. La sensation gazéifiée de cette boisson m'étonnera toujours. [...] Je n'ai pas réussi à croiser son regard ni à attirer son attention. Souvent, à ma vue, les gens s'exclament et s'émeuvent, Ooooh!!! et ils rigolent. Ils se mettent à faire les singes en disant Un singe!! Ils deviennent idiots. Lui, non.[...] Lui, dans la pâleur de la lumière qui passait à travers la vitre contre laquelle il s'était appuyé, laissait voir enfin son visage. Il m'a fixé. Il m'a souri. Je lui ai tendu la main. Sans jouer, sans fanfaronner, sans même s'extasier, il a tendu la sienne. Il a posé sa paume sur ma paume. Pas un instant il n'a eu envers moi un geste familier. S'il avait été seul, il m'aurait parlé comme on parle à ceux qui ont des oreilles. Mais gardant le silence, il m'a laissé le contempler et m'a dévoilé la détresse de son âme dans la défaillance de ses yeux faïencés. Je l'ai aimé à partir de là."

(extrait de "Anima" de Wajdi MOUAWAD, dont la lecture m'a laissée secouée, sans voix; peinture d'Enoki TOSHIYUKI)

mercredi 12 novembre 2014

Cendrillon ou La Belle au soulier d'or

Les contes me laissent perplexe. Je n'aime pas vraiment le doucereux qu'ils amènent souvent. Ce serait oublier que les contes sont des histoires contées, des histoires que l'on se raconte oralement d'une génération à l'autre et qu'il n'y a pas que les versions de PERRAULT ou des frères GRIMM.

© Jean-Jacques FDIDA et Delphine JACQUOT/ Didier jeunesse

Jean-Jacques FDIDA offre ainsi, dans cette collection que je cumule, "Contes du temps d'avant Perrault", des versions plus anciennes. "Cendrillon ou La Belle au soulier d'or" ne ressemble plus à celle que nous connaissions.
Elle est bien orpheline de mère, une marâtre arrive à la maison. Ici seule une demi-sœur. Cendrillon s'occupe des tâches ménagères et est envoyée au pré près d'une vache. Elle pleure sur sa situation en parlant à sa mère sur sa tombe.
Mais le conte change par rapport à la version la plus connue. La magie ne vient pas d'une marraine mais bien des pleurs de Cendrousse, entendus par sa mère morte, enchantés à travers l'intermédiaire d'une vache puis d'un arbrisseau.
La rencontre avec le Prince se fait à l'église, par trois fois. Elle s'échappe à chaque fois et le Prince ruse mais pourrait être abusé par les manœuvres de la marâtre et de sa fille.

© Jean-Jacques FDIDA et Delphine JACQUOT/ Didier jeunesse
 
Cette version reprend des éléments d'autres contes: les robes sont magnifiques et aussi belles que celles de Peau d'âne, la belle-mère et sa fille sont ogresses, la demi-soeur aura trois yeux. Il y a du merveilleux, du dramatique, du pouilleux et du sang.
"Au petit matin, quand Cendrillon est montée au pré, l'ainée marchait sur ses traces comme méchant roquet. Elle grognait, furetait et fouinait sans relâche. Or, comme elle se plaignait de s'être si tôt levée, Cendrillon a proposé de l'épouiller. Faisant craquer vermine, elle fredonnait:
Endors-toi d'un œil,
Endors-toi de deux,
Ferme les deux yeux."


© Jean-Jacques FDIDA et Delphine JACQUOT/ Didier jeunesse

Delphine JACQUOT offre de très belles illustrations, ses robes m'enchantent et quelques détails symboliques apporte une petite note de préciosité et d'un autre temps, peu-être confirmé par une reprise d'un petit être de Jérôme BOSCH.
"Mais du moment qu'elle passait sous le noisetier, la belle s'est trouvée parée d'une robe de lumière où mille lunes et soleils rayonnaient. Pour sûr, le fils du roi n'était pas fâché du changement. Cendrillon lui a tendu une noisette, ils en ont cassé la coque, mangé l'amande, et seraient bien restés là à s'entre-regarder jusqu'au solstice d'été si on ne les avait menés à la fête."

Et n'hésitez pas à écouter "La planète des contes: Cendrillon" de "La Marche de l'Histoire" animée par Jean LEBRUN et explicitée par Bernadette BRICOUT: ici

samedi 8 novembre 2014

"Nous étions suspendues au plafond de notre gîte" - Anima


"- Pour voir... elles crient?
- C'est en plein ça. Pour voir, elles crient. Alors je te pose une question: si la vie est un perpétuel cri de douleur, comment faire pour entendre son écho et échographier le visage de ce qui nous fait souffrir?
- Si le cri est perpétuel, plus rien n'est visible.
- Bingo! Chaque cri doit être suivi par un silence pour faire entendre son écho. Celui qui ne fait que hurler sa douleur n'en verra jamais le visage tout autant que celui qui s'obstine à la taire. C'est la leçon des chauves-souris: pour voir le visage de ce qui te fait souffrir, tu dois faire de ta douleur un collier qui enchaine des perles de silence aux perles de tes cris.
- Pourquoi vous me dites ça?
- J'ai toujours aimé sauver les âmes égarées."
(extrait du bouleversant, monumental, foudroyant, "Anima" de Wajdi MOUAWAD; source illustration de Samuli HEIMONEN)

... une idée de la souffrance, une idée du cri, du silence... et un clin d’œil aux chauves-souris de Lily et à celles que j'aime.

mercredi 5 novembre 2014

Sophie Scholl, "Non à la lâcheté"

Le défi de cette collection de petits romans historiques est de présenter au jeune lectorat des personnages importants d'une cause: ceux qui ont dit non à l'homophobie, à l'appartheid, à la colonisation etc...

Jean-Claude MOURLEVAT s'attaque au symbole de l'Allemagne résistante de la seconde guerre mondiale avec "Sophie Scholl: "Non à la lâcheté"". L'adolescente Sophie est déjà engagée quand nous la retrouvons. Elle fait passer en douce les tracts écrits et imprimés par son frère. Elle est jeune, assez passe-partout, elle se porte volontaire pour acheter les timbres en quantité.
Dans cette dictature allemande, leur action est encore secrète. Mais le mouvement étudiant dont elle fait partie veut aller plus loin, veut faire bouger les consciences. Cette nouvelle étape de distribution active des tracts, en plein jour, au sein de l'université, sera leur dernière activité. Ce mois de février 1943 est le dernier de sa vie.
L'image est violente, connue, ces tracts sur les marches des escaliers, sur la rambarde au deuxième étage, envoyés dans le vide et s'éparpillant à la vue de tous. Sophie et son frère Hans sont arrêtés, condamnés à morts et guillotinés.

Sophie est courageuse, même prise, elle répond avec aplomb à l'inspecteur qui l'interroge. Elle n'aura pas la force de s'insurger contre le juge comme le fera son frère mais elle aura tout de même quelques réparties.
Le roman nous laisse entrevoir qu'elle aura pu avoir une sanction plus douce, sans vendre ses amis, juste dire qu'elle était entrainée par les plus grands, par les hommes. Mais elle refuse, elle souhaite rester "droite", consciente.

"Et voilà qu'il nous lâche cette énormité: Vous feriez mieux de donner des enfants au Führer au lieu de perdre votre temps à étudier! Indignation, tu penses bien." Oui les femmes aussi comme représentantes de l'esprit critique.

La peur est latente mais la conscience politique, de liberté, est encore plus forte. L'accent est mis, dans ce documentaire, entre la partie romancée et la présentation des autres résistants encore aujourd'hui de part le monde, sur la jeunesse des activants. Ils se sacrifient, ont de l'audace.
Encore plus pour ces jeunes allemands, éduqués par les jeunesses hitlériennes, où le sport, la nature, le compagnonnage donnent une image de vitalité et de fierté tout en sclérosant les esprits.
Le livre se termine par la chronologie de la jeune femme et ses photos, pour bien ancrer nos mémoires.

Lily vous propose un magnifique billet, merci à elle pour cette lecture.

jeudi 30 octobre 2014

La couleur du lait


Mary a les cheveux couleur du lait. Blonde? A reflets? Elle est la petite dernière d'une famille de fermiers. Le père, rude et froid, aurait aimé avoir des garçons pour l'aider à la tâche. Ce sont pourtant quatre filles qui s’échinent jours et nuits dans ses champs.
Est-ce parce que celle-ci a une pâte folle? Est-ce pour son caractère bien trempé et franc? Mary se verra prêtée au service du pasteur Graham au presbytère. Elle a 15 ans et tout son monde change.
Dure à la tâche, elle s'ennuie dans cette nouvelle maison où le plus clair de son temps est pris à s'occuper de Madame. Remonter les draps, les oreillers, refaire le lit, aérer... cette pièce bleue.
Elle rejoint Edna, déjà employée à tenir la maison.

Se mettre au service de personne n'est pas le même travail que celui de la terre. La matière et les bêtes lui offraient une reconnaissance. Les actes au service d'une maison semblent déchargés de fond et pourtant. Ce sont ses attentions à la malade de la pièce bleue et à son grand-père cloitré dans la réserve de pommes, là-bas à la ferme, qui tiennent Mary. Elle a une présence réelle.
Elle ne joue pas, ne s'attache à aucun rôle, elle est juste elle-même.

"alors de quoi est-ce que vous voulez discuter? vous m'avez pas appelée ici rien que pour boire le thé et causer de la pluie et du beau temps?
tu es vive. je ne parlerais pas d'intelligence parce que tu n'es pas instruite, mais tu as quelque chose.
quoi donc?
une astuce innée peut-être, de l'esprit.
et c'est pas comme un cerveau instruit?
non, je ne crois pas, c'est informe, plus animal, plus primitif.
animal?
je ne voulais pas t'insulter. les animaux sont des survivants, ils n'ont pas besoin qu'on leur enseigne quoi que ce soit. mais ne t’inquiète pas de ça.
je m’inquiète pas. quand je ne peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas. si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
le révérend a joint les mains.
tu sais que tu aurais beaucoup à apprendre au reste du monde?
j'ai ri. et moi je crois que j'ai rien à apprendre à personne.
mais si . mary."

Ce passage au presbytère va lui retirer la naïveté qu'elle avait encore, elle n'est pas dupe du fiston coureur de jupons, comme elle ne l'est pas de l’ambiguïté du maître. Et pourtant, vive, intelligente, elle est humiliée, bafouée. Elle se résout à l'être aussi pour s'offrir une autre richesse, celle de la lecture et de l'écriture. Cette éducation lui est fatale. Autant Edna n'avait de futur que ses suaires, autant Mary pensait avoir un avenir.

Ce court roman, "Couleur de lait" de Nell LEYSHON, marque l'ouverture d'un autre possible qu'est l'alphabétisation. C'est aussi la fin d'une vie simple, franche, dure mais où Mary pouvait être solide. Elle ne pouvait pas, comme cela, changer de monde. Neil LEYSHON nous offre là la parole écrite de son héroïne, une écriture sans majuscule aux phrases courtes, presque factuelles.

tous les livres sur Babelio.com

vendredi 24 octobre 2014

L'Inde à l'honneur dans les livres jeunesse

J'ai profité de la fête colorée et joyeuse de Diwali pour lire autour de l'Inde. Nous l'avions fêtée ainsi il y a deux ans. Des albums et des livres un peu plus pointus, de quoi se plonger avec les enfants dans ce pays si riche de cultures. Les liens vous renvoient aux billets dédiés aux livres cités.

*source peinture Kalighat, Dolls of India

***
Les textes fondateurs:


La fête de Diwali est liée à Rama, roi mythique, un des avatars de Vishnu. L'histoire de ce souverain est racontée dans l'épopée mythologique Ramayana. La version de Sanjay PATEL, "Ramayana, la divine ruse", est parfaite. Très stylisée, elle apporte une fraicheur et une lisibilité à cette mythologie.


Un second grand récit marque la culture hindoue, il s'agit du plus long poème du monde. Notre version de cette oralité de la civilisation de l'Indus nous vient d'une enfant. "Le Mahabharata" raconté par Samhita ARNI est un peu brouillon mais il est très impressionnant.

***
L'Inde offre une multitude d'évocations exotiques. 


"Radhika, la petite hindoue" de Chrystel PROUPUECH et illustré par Sabrinah propose de découvrir le pays à regard d'enfant en y mettant les mains.


Rudyard KIPLING nous a proposé, lui, d'y découvrir la jungle et ses aventures, autour des animaux ou de Mowgli, l'enfant élevé par eux. Ses "Histoires comme ça" en offrent un bel exemple.

***
La place des femmes est elle très ancrée dans la tradition. Les choses bougent doucement mais deux propositions peuvent nous faire vivre la situation d'une enfant en âge d'être mariée. A chaque fois, l'instruction est une voie vers l'émancipation.


Le premier, un album pour les plus jeunes, celui d'une enfant qui s'interroge sur le mariage et sur la place d'une femme en Inde: "Rouge Bala" de Cécile ROUMIGUIERE et illustré par Justine BRAX.



Le second, "Un sari couleur de boue" de Kashmira SHETH, un roman sur le passage de fille à femme, d'enfant à mariée et propose aussi cette descente aux enfers qu'est le veuvage féminin.