mardi 30 janvier 2018

"Les tulipes ont eu leur heure de gloire et se meurent, elles laissent tomber leurs pétales un à un, comme des dents." - La servante écarlate


"Bon. Puis nous avons eu les iris, dressés superbes et dignes sur leurs hautes tiges, comme du verre soufflé, comme de l'eau pastel momentanément gelée en éclaboussures de couleur, bleu pâle, mauve pâle, et les plus sombres, velours et pourpres, oreilles de chats noires au soleil, ombre indigo, et les cœurs de Jeannette, de forme si féminine que c'est surprenant qu'on ne les ait pas arrachés depuis longtemps. Il y a quelque chose de subversif qui se dégage du jardin de Serena, l'impression que des choses enterrées remontent et éclatent, sans paroles, à la lumière, comme pour montrer du doigt, et dire: Tout ce qui est réduit au silence clamera pour être entendu, même en silence. Un jardin à la Tennyson, lourd de senteurs, languide, le retour du mot pâmoison. La lumière du soleil se répand sur lui, certes, mais la chaleur monte aussi des fleurs elles-mêmes, on la sent: c'est comme si l'on tenait la main à deux centimètres au-dessus d'un bras, d'une épaule. Le jardin respire dans la chaleur, hume ses propres effluves. Le traverser, ces jours-ci, à l'époque des pivoines, des mignardises et des œillets, me fait tourner la tête.
Le saule a revêtu son plus beau plumage, et n'aide guère, avec ses murmures insinuants Rendez-vous, dit-il, terrasses; les sifflantes me remontent l'échine comme un frisson de fièvre. La robe d'été bruisse contre la chair de mes cuisses, l'herbe pousse sous mes pieds, aux coins de mes yeux il y a des mouvements dans les branches: plumes, volettements, trilles, arbre devenant oiseau, métamorphose devenue délire. Les déesses peuvent exister et l'air exsude le désir. Même les briques de la maison s'adoucissent, deviennent tactiles. Si je m'appuyais contre elles elles seraient chaudes et élastiques. C'est surprenant, ce que la frustration peut faire."
("La servante écarlate" de Margaret ATWOOD, éditions Robert Laffont; tableau de John William WATERHOUSE)

lundi 15 janvier 2018

Des plumes et des écailles dernièrement (M pour Mabel - Les grandes marées)

... au fil des pages, de la fauconnerie, mais aussi de la biologie marine pour deux très puissants romans dont je parlerais peut-être plus longuement une autre fois.


Un deuil, une passion, s'enfermer pour apprivoiser le sauvage, refaire surface, reprendre une à une les étapes de l'apprentissage mais aussi les réflexions machistes de cette pseudo aristocratie de fauconniers, sauvage, masculin, féminin... et puis du Merlin, de la légende arthurienne, une once, le rapport à l’homosexualité du mentor de papier, Theodore Harold White, beau, beau...
"M pour Mabel" d'Helen MacDONALD, éditions 10/18, et une page de "Reliefs 3, Pôles" et une "Hulotte"


Une avancée dans l'adolescence, les pieds dans l'eau, des apparitions marines incroyables, une renommée, une prédiction... la puissance de l'amitié et de la présence.
"Les grandes marées" de Jim LYNCH, éditions Gallmeister, une page de "Reliefs 1, Abysses"



vendredi 12 janvier 2018

Uppercut


Il est arrivé en fin de courses, dans cet internat des récalcitrants, ces petites frappes du collège, ceux qui se sont fait virer de tous les autres bahuts. Il a le prénom qui ne semble pas aller avec sa tête, Erwan pour un métis, cela le fait peu dans cette campagne où il atterrit.

Nous suivons ses doutes et réflexions. Il sait qu'il faut changer mais fugue tout de même avec un pote de chambrée. De toutes façons que peut-il attendre de mieux. Il ne sait répondre aux invectives que par de beaux petits uppercuts. Rien n'est plus envisagé pour lui.
Dans leur fuite, un passage chez un oncle du copain et là une première bouffée d'air. L'adulte ne les renvoie pas à l'internat. Il parle, prépare un repas pour le soir, leur propose de dormir chez lui, avant de les ramener tranquillement le lendemain au collège.
Ce premier "grand" leur fait confiance, Erwan ne sait pas pourquoi. Encore moins pourquoi même l'entrevue avec la direction du collège se passe bien, plutôt bien. On lui propose de changer d'air, de travailler pour un centre équestre.
Pourquoi pas. La première rencontre est figée, son futur chef est un petit paysan qui n'avait pas prévu de se retrouver avec un noir, métis ou non. Mais il le prend tout de même, un stage.

Erwan découvre le racisme ordinaire. Des aprioris le devanceront, le patron n'est pas avare de mauvaises blagues. Puis les jours passent, le travail est bien effectué. Erwan, si habitué à parler avec ses poings, se retient, est offensé mais garde la tête haute. Le paysan le jauge et le stage continue.

"Uppercut" d'Ahmed KALOUAZ montre le point de bascule d'une dérive adolescente. Un jeune homme pas bête, mal compris sûrement, peut aussi reprendre pieds malgré les difficultés. A travers lui, il s'agit aussi de questionnements sur la négritude, le racisme, l'investissement pour ce que l'on croit, ne serait-ce que la boxe.
Ce petit roman brosse aussi un racisme de méconnaissance, de convention. Une sorte de bougonnerie rurale sans omettre les formes plus dures. Un beau premier abord de ses sujets proposé aux adolescents.

Merci aux éditions Rouergue et à Babélio pour cette Masse critique.
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