samedi 3 janvier 2015

Esprit d'hiver


Le jour de Noël, Holly se réveille un peu saoule de la veille. Il est tard, son mari Eric part vite chercher ses parents à l'aéroport. Mince ils ont trop dormi, Tatiana, leur fille, aime les cadeaux au réveil. Elle doit s'impatienter. Ce jour-là, l'adolescente de 15 ans, Tatty, n'est pas comme d'habitude, elle est grognonne.
"Esprit d'hiver" de Laura KASISCHKE commence comme cela: un quiproquo entre mère et fille. Mais il faut préparer le repas: les amies, les frères d'Eric, ses parents et les collègues sont attendus. Il n'y a pas une seconde à perdre. Mais pourquoi donc Tatty en veut-elle autant à sa mère? Les attitudes de la fille agace la mère. Susceptible, cette dernière se sent en défaut... en défaut sur ce Noël, en défaut sur sa capacité à être mère. Mais Tatty est peut-être tout simplement en train de devenir une jeune adulte, le loquet sur sa porte de chambre, fermé comme jamais, le prouverait. Mais il faut tout de même se hâter de tout agencer, le repas, la tenue.
Et Tatty qui en change tout le temps. Attentionnée, elle met en valeur les présents des invités, puis se change pour mettre ses chaussures si atypiques. Mais d'où viennent-elles d'ailleurs, on dirait celle des femmes russes.
Et puis cet appel d'un inconnu sur le téléphone d'Holly. Et la tempête de neige: en fin de compte personne ne viendra. Holly et Tatty passeront la journée seules.

Une journée entière défile et avec elle, les questions affluent. Sur les relations mère-fille, sur cette adolescente si attentionnée, si spéciale, qui aujourd'hui, n'est plus la même. Elle est même hostile, revancharde, terrifiante. Peu à peu les détails affluent.
Cette adoption dans un orphelinat en Sibérie. Ce bébé aux si grands yeux, dont ils sont tombés amoureux aussitôt. Holly est une survivante dans sa famille, toutes les femmes meurent de cancer, pour vivre, elle a dû devenir une coquille vide et se séparer de ses seins et de ses ovaires. Elle n'a pas engendré son enfant. L'amour filial est aussi lié à une culpabilité, culpabilité des premiers mois d'attente avant d'aller la rechercher en Russie, culpabilité de ne pas offrir toute la légèreté qu'elle voudrait pour sa fille.
Le rôle de mère apparait dans ce roman avec énormément de tendresse. Les fantasmes plaqués sur l'enfant, la culpabilité de vouloir être mère et puis de ne plus vouloir, ou moins, ou juste une heure, pour écrire. Holly aurait voulu être poétesse.

Et puis "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux". Oui, Holly veut écrire avant que les mots ne s'envolent, elle veut une heure pour elle, juste une heure. Une heure pour comprendre, une heure pour que l'esprit d'hiver devienne lisible. Et pourtant elle veut aussi fermer les yeux, oublier le pire (par exemple les femmes de sa famille mortes), aider la mémoire à faire du tri en claquant l'élastique contre son poignet, souvent puis moins puis plus jamais. "Prendre connaissance des horreurs de ce monde et ne plus y penser ensuite, ce n'est pas du refoulement. C'est une libération."
Laura KASISCHKE nous livre un roman glaçant. Ce huit-clos est une magnifique réflexion sur la parenté, sur le refoulement. C'est aussi un superbe cri d'amour d'une mère pour sa fille.

"Elle ferma les yeux et Holly vit comme les paupières de sa fille étaient naturellement d'un superbe bleu. Avant Tatiana, Holly n'avait jamais rien vu de pareil. Autrefois, elle se tenait au-dessus du berceau de Bébé Tatty pour admirer les yeux clos de sa fille et s'en émerveiller:
Elle avait adopté une poupée de porcelaine! Ou elle avait découvert en quelque sorte, comme sous un chou ou dans un nid près d'une cheminée, une enfant d'une telle splendeur dans les moindres détails qu'il était impossible qu'elle fût de ce monde. Elle ne pouvait être que spéciale. Elle devait posséder des pouvoirs surnaturels, ou être immortelle! Une telle enfant ne pouvait que vivre éternellement!
Bien sûr, ce n'était pas le cas. Elle n'était pas la perfection incarnée. Personne ne l'était. Mais c'était très bien:
" La perfection est terrible, avait écrit Sylvia Plath dans un poème. Elle ne peut avoir d'enfants."
Et, plutôt que d'être une déception pour Holly, le fait que Tatiana ne soit pas parfaite s'était révélé si doucement alors qu'elle grandissait, que cela l'avait rendue encore plus magique aux yeux de sa mère."

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